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Le Marketing de la colère

«Le nouveau service où les filles font les devoirs de maths des garçons pour de l’argent.» La prétendue campagne pour Math Dealer était en fait une démarche de l’Union suisse des ingénieurs-conseils pour attaquer les préjugés et susciter des vocations féminines. Action réussie ou non? C’est ce qu’on m’a beaucoup demandé en ce mois de mars.

En fait, seule l’USIC pourrait nous dire si oui ou non, l’action était une réussite. Pour moi, la question est secondaire. Parce que cette histoire apprend, ou rappelle, deux ou trois choses très importantes pour les professionnels des relations publiques.

On ne connaît jamais assez son environnement et ses publics

En tant qu’indécrottable optimiste, et spécialiste auto-proclamé de l’ironie, je n’ai pas pensé pendant une demi-seconde que ça pouvait être authentique. Je veux dire: c’est tellement gros. Tellement ignoble. Qui ferait un truc pareil? Qui oserait? Personne.

En tout cas, je n’arrive pas à y croire.

Mais tout le monde n’est pas de mon avis. Il y a eu des réactions très virulentes. Des gens qui ont vraiment pris cette opération au sérieux. A Lausanne, l’affiche a été dénoncée à la commission consultative d’affichage sur les discriminations 1.

J’ai aussi vu une réaction d’envergure, argumentée et très savoureuse de Manon Duboc 2. Mais soit c’est la plus talentueuse pince-sans-rire du monde, soit elle n’a pas envisagé un seul instant être en face d’une fausse campagne.

Et pourtant, toutes ces personnes et moi, on vit dans le même monde. Par contre, je suis un homme. Alors on a beau se dire ouvert d’esprit, curieux, au contact de plein de gens différents et qu’on discute beaucoup. Savoir ce que pensent ceux qui sont de l’autre côté de la barrière n’est pas évident. Ça demande beaucoup de travail et d’empathie.

Et si avec cette campagne la barrière est celle du genre, cette difficulté à bien comprendre l’autre reste vraie pour les questions générationnelles, d’éducation, d’ethnie, de religion et de bien d’autres encore. Pour les professionnels de la communication, ça dit bien l’importance de connaître ses publics au-delà des données socio-démographiques.

Trop de provocation tue le débat

La mécanique de la campagne de l’USIC est une machine bien huilée et souvent mise à profit. On provoque l’indignation pour gagner en visibilité. Ça s’utilise beaucoup en politique, mais aussi dans le business. Il faut aller dans le monde des Bisounours de Linkedin pour que les bons sentiments étouffent toute velléité de révolte.

De l’aveu même de Lea Kusano, porte-parole de l’USIC, la campagne voulait provoquer le débat sur les préjugés selon lesquels les filles sont moins fortes en maths. Elle se dit ravie, parce que le tollé provoqué par l’affiche a fonctionné plus vite que prévu, poussant l’USIC à tomber le masque après quelques jours seulement 3.

Mouais.

L’affiche a fait du bruit c’est vrai. Mais est-ce qu’il y a vraiment eu un débat? Le seul débat, c’était pour savoir si la campagne était authentique ou non. Personne n’a débattu sur le fond de la question.

Il y a eu ceux qui se sont étranglés avec leur pain au chocolat dans les souterrains de la gare de Lausanne et ceux qui se sont insurgés sur les réseaux sociaux. Mais il n’ont pas eu de contradicteurs. Personne n’a dit que ce service était génial, qu’on l’attendait depuis longtemps, que c’était super que les filles puissent gagner de l’argent avec ça, etc. C’est pas vraiment ce qu’on peut appeler un débat.

Pour un vrai débat, il aurait fallu aller moins loin dans la provocation. Suivre une approche plus modérée qui aurait pu diviser la population entre partisans et opposants.

L’indignation c’est bien, l’action c’est mieux.

En 2011, la francophonie s’enthousiasmait pour un petit vieillard de 93 ans. Parce que malgré son grand âge, il n’acceptait pas l’indifférence face aux injustices. Dans «Indignez-vous! 4», Stéphane Hessel, membre de la Résistance française qui collaborera ensuite à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, appelle le monde à se révolter et à agir contre tout ce qui ne tourne pas rond.

Il semble qu’à l’ère des médias sociaux, on a un peu oublié la deuxième partie de son injonction. Pour s’indigner, on s’indigne, pas de problème. Vite un clic, un emoji en colère ou un gif qui fait ricaner. Parce qu’on peut être indigné mais spirituel. C’est comme une sorte de Like à l’envers.

Et puis on se dit que c’est bon, qu’on a montré au monde entier qu’on n’était pas d’accord. Qu’on était du côté des gentils.

La conscience tranquille, on peut repartir acheter une paire de chaussures sur Zalando. En attendant la prochaine cause à défendre. Mais est-ce que ça va vraiment faire bouger le schmilblick?

Victoria Marchand

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