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La Photographie Augmentée

La popularité des smartphones et l’engouement pour les réseaux sociaux ont précipité les images photographiques dans les flux tumultueux de l’information globalisée.

Accessibles en un seul clic, les images se répandent dans tous les contextes et s’adaptent sur tous les formats. Converties en bits et en pixels, elles sont devenues des indices pour des messages toujours plus détachés de la réalité. La généralisation des représentations numériques, à savoir des images créées, traitées, diffusées ou stockées sous forme de données numériques, a enclenché une redéfinition en profondeur de notre régime visuel. Autrefois documents fiables et irréfutables, les images photographiques sont devenues des indices malléables et vraisemblables, immédiatement assimilés par nos habitudes visuelles. Dans les publicités, dans les films, dans les magazines, jusqu’à nos communications les plus personnelles, les images numériques manipulées forment désormais un environnement « naturel ».

Comment enseigner la photographie ?
Depuis les années 90, cette évolution a nourri de nombreux débats quant à la nature du réalisme photographique, ainsi qu’une remise en question de secteurs entiers d’activités. Comment spécifier la nature hybride des photographies numériques ? Quelles sont les pratiques photographiques contemporaines et les discours qui s’y rattachent ? Entre mandats commerciaux et projets artistiques, comment adapter les formations dans le domaine de la photographie ? C’est en partie pour répondre à ces questions que le projet Augmented Photography, une recherche-création sur les mutations récentes de la photographie, a été lancé dans le cadre du Master in Photography de l’ECAL / Lausanne (www.ecal.ch), avec le soutien de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (www.hes-so.ch). Par le biais d’un cycle de conférences, d’un site web, d’une publication et de workshops, le but de cette recherche visait à explorer quelques pistes créatives apparues depuis la numérisation des procédés photographiques.

À ce titre, une attention particulière a été apportée aux manières d’enseigner la photographie à l’ère numérique. En effet, cette situation a également participé à redéfinir en profondeur ce que recouvre traditionnellement le métier, désormais transformé, de photographe. Le temps, pas si lointain, de la chambre noire semble totalement oublié et les images numérisées ont généralisé l’émergence de nouvelles pratiques, qui s’apparentent plus à la peinture, à la sculpture ou aux sciences de l’information. De plus, il faut comprendre et s’adapter aux nouvelles contingences de diffusion des images. Google, Instagram, Flickr, Tumblr, etc. : il existe tout un pan de nouvelles ressources pour trouver l’inspiration ou exposer ses travaux. Comme le souligne Michael Bussel dans la publication Augmented Photography : « J’aime regarder les comptes Instagram de mes anciens camarades d’école, car ils jouissent de beaucoup de liberté pour prendre leurs photographies, sans se préoccuper de savoir si elles sont bonnes. (…) Je pense qu’être un photographe est une activité beaucoup moins ‘spéciale’ aujourd’hui que tout le monde possède un smartphone muni de fonctions qui corrigent automatiquement tous les défauts potentiels de l’image ».
Ce contexte particulier a influencé toute une génération de jeunes photographes qui, pour la plupart, n’ont pas connu les procédés argentiques et se sont d’emblée intéressés à explorer de nouvelles perspectives. À ce titre, les logiciels de retouche et de traitement assistés par ordinateur ont pris une place conséquente, aussi bien dans les pratiques artistiques, commerciales ou même non professionnelles. En offrant toute une gamme d’outils, qui permettent de simuler des techniques anciennes ou d’instituer des fonctionnalités inédites, Photoshop est devenu un instrument incontournable pour la création des images photographiques. L’art de la ‘retouche’ a désormais atteint une telle virtuosité qu’il est même devenu quasi impossible de vérifier l’authenticité d’une image et cette situation semble être en parfaite adéquation avec nos habitudes.

Transparence quant à l’origine des images
À l’heure actuelle, 75% du catalogue IKEA est composé d’images générées par ordinateur et, en 2011, H&M provoquait un scandale avec une campagne présentant des mannequins dont les corps étaient faits en image de synthèse. Avec « Study in contemporary gestures II » (2012), Joshua Citarella s’est lancé dans un programme de « sensibilisation » sur l’impact des logiciels dans la production des images publicitaires ou éditoriales. Ces productions montrent uniquement les traces des manipulations successives réalisées sur des images de corps humains. L’extrême minutie et les efforts nécessaires pour atteindre ce niveau de « réalisme » dévoilent à quel point un corps doit être dénaturé pour atteindre la perfection. Les choses sont toutefois en train de changer, puisque des lois ont été promulguées pour limiter l’impact des manipulations photographique sur les habitudes alimentaires. À partir du 1er octobre 2017, la France a lancé une loi, surnommée le ‘Décret Photoshop’, qui ‘fixe les modalités d’application et de contrôle de l’obligation d’accompagner les photographies à usage commercial des mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée (pour affiner ou épaissir leur silhouette) de la mention « photographies retouchées »’. Même si on peut discuter de l’impact réel d’une telle démarche, il ne fait aucun doute que cela va occasionner quelques modifications dans les manières de concevoir les campagnes et les images de modes.

Même si ces questions légales n’ont pas fait l’objet d’analyses spécifiques dans le cadre du projet Augmented Photography, cette situation témoigne des répercussions importantes de ces manipulations dans notre quotidien. Les générations de photographes à venir doivent non seulement maîtriser ces outils pour mener leur carrière, ils seront surtout les principaux usagers capables de nous montrer les horizons qui sont en train de s’ouvrir entre le flot constant des innovations et notre soif intarissable d’images. Comme le souligne la commissaire d’exposition Ann-Christin Bertrand dans son texte : « Les photographes ont souvent résisté à l’automatisation, en cherchant à garder le contrôle sur toutes les composantes de l’images. A l’heure du tournant numérique, les systèmes deviennent toujours plus complexes et automatisés. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, la compréhension et le contrôle sont des données essentielles pour permettre des usages conscients de la photographie augmentée. »

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