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Ringier Digital : Vers de nouvelles voies publicitaires

TKInterview de Thomas Kaiser, Chief Digital Officer chez Ringier Digital Suisse

Ringier Digital s’est engagé dans un « partenariat d’investissement » de trois ans avec la société allemande SevenVentures (www.sevenventures.de). Fondée en 2011, cette dernière est le volet « Ventures » du groupe ProSiebenSat1. ComInmag a interrogé Thomas Kaiser, CDO de Ringier AG, au sujet de ce nouveau partenariat, de son objectif et de son modèle commercial.

SevenVentures est une société qui recherche de jeunes entreprises commercialisant un produit ou un service dans le secteur B2C et leur propose des créneaux publicitaires sur les chaînes Pro7, Sat1 et kabel1 ainsi que sur leurs plateformes en ligne. En contrepartie, elle reçoit un intéressement (Media-for-Revenue) ou des parts dans l’entreprise (Media-for-Equity). Pouvez-vous citer le nom d’une entreprise ayant prospéré grâce à SevenVentures ?
-La boutique de mode en ligne Zalando en est un bon exemple : elle illustre l’ordre de grandeur du modèle et montre ce qui a été réalisé en relativement peu de temps.

Quelle forme prendra le partenariat avec SevenVentures ? Allez-vous fonder une nouvelle société commune ?
-Nous procèderons à des échanges intensifs concernant les investissements envisageables et déciderons au cas par cas de nous engager dans telle ou telle start-up. L’idée n’est pas de fonder une société commune.

Ce partenariat va-t-il vous amener à proposer de nouveaux emplacements publicitaires dans la presse, à la radio et sur Internet ?
-C’est exactement notre intention et nous allons aussi focaliser nos investissements sur le B2C. Car pour les marques, l’audience dans les médias permet de réaliser leurs objectifs de branding ou de ventes.
Selon l’orientation de l’entreprise concernée par la participation, le marketing-mix peut fortement varier. Et l’impact des campagnes est renforcé par l’interaction entre les canaux en ligne et hors ligne. De plus, la presse et la radio peuvent induire une régionalisation poussée de la publicité.

Avez-vous un objectif de résultat précis ?
-Il s’agit avant tout d’établir le contact avec de jeunes entreprises de l’Internet et de développer avec elles leurs activités. Mais nous voulons aussi montrer à ces e-sociétés l’intérêt et l’impact des médias traditionnels. En effet, l’expérience montre qu’elles sont nombreuses à n’utiliser que tardivement les canaux traditionnels après avoir souvent passé des années sur le web, où elles peinent généralement à être connues et à élargir leur audience.

Sur quels critères ces sociétés sont-elles sélectionnées ?
-L’entreprise de la Net économie doit déjà être présente sur le marché et disposer d’une « infrastructure » concrète comme une équipe de fondateurs dynamique, une technologie de base déjà en place, une appli mobile fonctionnelle, un SAV, etc.
Le candidat idéal a déjà prouvé, dans un cadre contrôlable, que son modèle commercial intéresse le marché (par ex. sur la base du nombre de téléchargements de l’appli mobile). L’optimisation rapide de la notoriété et du positionnement sur le marché est alors prioritaire et c’est ici qu’entre en jeu la coopération entre Ringier et SevenVentures. Et cerise sur le gâteau (cette condition n’est pas impérative), un potentiel pour une expansion internationale en Allemagne, en Autriche et en Suisse est envisageable. Pour s’inscrire : www.ringierdigital.ch/ventures.

Ce projet est piloté par Ringier Digital. Pourquoi ?
-Ringier Digital possède l’« environnement adéquat » et fournit aux jeunes pousses de nombreuses interfaces : un savoir-faire spécifique en matière de marketing, de technologie, de logistique et de processus. Les échanges entre les entreprises détenant une expérience en ligne avérée et les startups représentent pour les deux parties une valeur inestimable en plus de la portée médiatique et des moyens financiers. Ringier Digital en profite par ailleurs pour sonder le terrain pour les autres secteurs d’activités de Ringier (Publishing et Entertainment). Les activités « Ventures » ne se limitent donc pas aux modèles commerciaux de Ringier Digital (Classifieds, eCommerce, Digital Marketing).

Ringier fonctionne donc comme une sorte de banque accordant des crédits médias. Qu’est-ce qui qualifie Ringier pour ce nouveau rôle ? Et quel est le montant annuel disponible ?
-De par son propre développement historique (notamment la constitution du groupe Scout24 Suisse), Ringier Digital détient une compétence particulière dans la conception de modèles économiques en ligne et connaît la mentalité des fondateurs. Mais nous n’avons pas de budget « Ventures » fixe. Il est évident que dans certains cas, les seuls volumes médias sont insuffisants et que des fonds seront nécessaires pour divers investissements (technologie, personnel de vente ou services clientèle) dans le sens d’un financement classique.

A partir de quand le partenariat entre-t-il en vigueur ?
-Nous en sommes déjà à la phase initiale et analysons actuellement les premières options de participation. En plus des options nouvelles pour les deux partenaires, nous étudions également le transfert, vers la Suisse, de modèles conçus par SevenVentures en Allemagne et ayant réussi.

Peut-on parler d’équité en ce qui concerne une participation au chiffre d’affaires ? Car Ringier et SevenVentures sortent gagnants même en cas de pertes.
-Le principe est plus qu’équitable. Il ne s’agit pas de fournir gratuitement des prestations médias, mais d’abaisser le plus possible le seuil d’accès aux canaux médias qui sinon seraient inaccessibles aux jeunes entreprises dans cette phase de développement. Par ailleurs, nous savons pour en avoir fait nous-mêmes l’expérience que si l’on veut optimiser judicieusement les canaux médias et contribuer activement au succès dans les coopérations médias, cela implique un « investissement minimum ».

Les participations actuelles de Ringier (Geschenkidee, portails Scout24, Qualipet, etc.) profiteront-elles également de ce nouveau partenariat ?
-Depuis août, Geschenkidee.ch – une entreprise Ringier – diffuse de la publicité télévisée sur les canaux du groupe ProSiebenSat1 sur la base d’un accord Media-for-Revenue. Nous montrons ainsi que cette forme de coopération média représente pour nous une activité marketing judicieuse. Et bien entendu, nous faisons ainsi nos premières expériences.

Pourquoi Ringier mise-t-il sur SevenVentures ? La télévision joue-t-elle ici un rôle vraiment décisif ?
-Lors du développement de la notoriété des labels concernés par nos propres participations (DeinDeal, Autoscout24, anibis), nous avons toujours misé sur la publicité télévisée comme complément de nos propres canaux – un choix qui s’est avéré judicieux.

Mais ProSiebenSat1 et Ringier n’ont pas le même public cible : la presse touche des personnes nettement plus âgées que les audiences de Pro7, Sat1 et kabel1.
-Il suffit de penser à Blick am Abend et Radio Energy pour savoir combien ce point de vue est erroné : Ringier interpelle aussi un public jeune et urbain. De plus, la complémentarité des canaux est intentionnelle : la combinaison des audiences des deux entreprises médias devrait permettre d’atteindre tous les publics cibles. Un ciblage précis est effectué sur les plateformes en ligne des deux entreprises.

Qui sera chargé de la planification médias ?
-Nous avons mis en place un bureau de coordination interne effectuant, pour toutes nos participations, une planification média professionnelle par le biais du portefeuille médias de Ringier. La régie publicitaire Goldbach en fait de même pour SevenVentures.

En Suisse, Goldbach Media assure la commercialisation des chaînes Pro7, Sat1et kabel1. Or, cette régie ne gérera pas la publicité de ces startups. Quelles sont les conséquences du nouveau modèle de coopération pour Goldbach Media ?
-Goldbach supervise, en tant que partenaire, tout le planning des diffusions TV ainsi que le déroulement des campagnes. Toutefois nous ne connaissons pas tous les détails contractuels de la coopération unissant Goldbach Media et SevenVentures.

Il est de notoriété que Goldbach Media et les créneaux publicitaires évoqués se montrent généreux en termes de freespace. Quel volume de temps publicitaire pouvez-vous mettre chaque année à la disposition de ces entreprises ? Et quel est le volume que Ringier peut concéder dans la presse, à la radio et en ligne ?
-La planification se fera au cas par cas.

Chez ProSiebenSat1 et Ringier, ces activités « Ventures » permettront d’occuper les espaces publicitaires inexploités. C’est ce qui vous a intéressé ?
-A l’origine, telle a été l’idée de ProSiebenSat1. Aujourd’hui, on ne peut vraiment pas parler de créneaux publicitaires inexploités dans le domaine télévisé. La question est plutôt de définir leur volume dans le secteur de la presse. Nous nous intéressons donc plutôt à la prise en charge de nouvelles formes publicitaires et de nouveaux partenaires publicitaires.

En 2012, les activités « Ventures » ont dégagé pour le groupe ProSiebenSat1 une augmentation du CA à trois chiffres. Depuis 2009, le groupe s’est ainsi constitué un portefeuille « Ventures » d’une cinquantaine de partenariats et participations stratégiques. Ces chiffres vous ont-ils aidé à franchir le pas ?
-Les contacts avec le groupe ProSiebenSat1 existent depuis des années, notamment grâce à la participation de Ringier chez Sat1 Suisse. Les négociations ont mis en évidence que nous partageons pratiquement les mêmes points de vue dans le domaine « Ventures », ce qui rend la combinaison de l’audience média encore plus intéressante en Suisse.

L’an dernier, les activités numériques de Ringier ont généré un CA d’environ CHF 195 millions, soit 18% du CA global de Ringier. Les ventes ont grimpé de 29%. Quelle impulsion attendez-vous du nouveau partenariat ?
-Les chiffres que vous citez se réfèrent au CA numérique agrégé du groupe Ringier (Publishing, Entertainment, Digital, Central Eastern Europe (CEE)) consolidé par Ringier. Cette année, le numérique devrait passer à 25%. Mais dans l’optique de Ringier, la contribution résultant de la coopération avec SevenVentures sera dans un premier temps peu élevée car les volumes médias presse et radio ne dépendent pas du secteur numérique, les participations n’étant généralement pas consolidées.

Côté bénéfices, les activités numériques de Ringier ont-elles pu s’autofinancer ou être profitables en 2012 ? Quelle est la part escomptée pour les nouvelles activités « Ventures » ?
-En 2012, les activités numériques se trouvaient encore dans une phase importante de constitution et d’investissements. Mais pour 2013, nous comptons sur un excédent brut d’exploitation dépassant la dizaine de millions d’euros, ce chiffre devant augmenter en continu pendant les prochaines années, même compte tenu des nouveaux investissements dans le numérique.

L’accord avec SevenVentures est limité à la Suisse alémanique. Le même système est-il envisageable en Suisse romande ?
-Oui, en ce qui concerne l’audience télévisée. L’audience de Ringier y est déjà considérable et peut entrer en ligne de compte dans la coopération, et ce au cas par cas.

Via la fenêtre publicitaire de TF1 ?
-Nous venons juste de nous lancer avec SevenVentures. Si les résultats de ce test sont positifs, nous allons bien sûr étudier l’extension de ce modèle commercial aux partenaires tels que TF1 qui couvrent des secteurs complémentaires. Mais à l’heure actuelle, nous n’avons encore rien prévu.

Ce modèle « Ventures », c’est du marketing de performance : les startups se transforment en annonceurs qui ne payent pas les prestations média mais concèdent à Ringier et SevenVentures une part de leurs recettes générées par cette visibilité ?
-C’est exact, le chiffre d’affaires n’étant toutefois qu’une valeur de mesure parmi d’autres, comme par exemple la marge brute dans le commerce électronique ou la croissance de la clientèle.

Ne craignez-vous pas que ce modèle fasse évoluer la mentalité des annonceurs actuels chez Ringier ?
-Non, ce modèle sert vraiment uniquement à promouvoir des startups dans leur phase de développement. Le principe est également porté par nos services de commercialisation qui peuvent intervenir dans le choix des bénéficiaires du modèle.

À terme, n’y a-t-il pas danger de conflit d’intérêt ? Vos journalistes pourront-ils critiquer une entreprise dont vous percevez une partie des résultats ?
-Les rédactions disposeront d’autant de liberté dans leur travail de couverture médiatique qu’auparavant. La publicité dans les médias est loin d’être un nouveau modèle commercial. Et il ne s’agit pas non plus d’intégration des contenus.

Propos recueillis par Markus Knöpfli

 

Encadrés

Portrait de Thomas Kaiser
Né en 1966, le CDO Thomas Kaiser est depuis juin 2012 à la tête des activités numériques de Ringier AG. À titre de CEO, il est également responsable des activités opérationnelles de Ringier Digital AG qui regroupe les principales places de marché en ligne, entreprises de commerce en ligne et prestations de marketing numérique de Suisse.
Avant de rejoindre Ringier, M. Kaiser était membre de la direction du groupe PubliGroupe où il a supervisé la mise en place de la division Digital & Marketing Services. Pendant douze ans, il a occupé en Allemagne des fonctions d’encadrement chez Bertelsmann et Hubert Burda Media. Depuis 1995, il s’occupe du développement d’entreprises dans le secteur des nouveaux médias. Après avoir effectué des études de gestion d’entreprise, M. Kaiser a obtenu sa licence à l’université de St. Gall HSG.

Ringier Digital
– Places de commerce : AutoScout24, MotoScout24, ImmoScout24, JobScout24, anibis.ch, JobCloud (jobs.ch/jobup.ch)
– Commerce électronique : DeinDeal, geschenkidee.ch/.de/.at, cash.ch, Qualipet
– Marketing numérique : Centre de compétences Omnimedia AG
– Activités commerciales : conception et exploitation en interne de plateformes en ligne et d’applications mobiles, notamment sous l’égide de Xmedia AG, Nhat Viet Group et Geomatic AG

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